En 1870, Adolphe Isaac Crémieux, avocat d’origine israélite, inscrit au barreau de Nîmes, Garde des Sceaux dans le gouvernement du 4 septembre, prend la décision d’accorder aux Juifs d’Algérie la qualité de citoyens français. . Cette politique tourne le dos délibérément au « Royaume Arabe » de Napoléon III. Quand on connaît les relations commerciales millénaires qu’entretenaient les communautés respectives, on comprend comment par l’acquisition de la citoyenneté française des uns (Juifs indigènes) au détriment des autres (Musulmans indigènes), la révolte des grandes tribus algériennes était inévitable. Un an avant, la guerre a été déclarée à la Prusse par Napoléon III et la Défense nationale semble n’être nullement décidée à la lutte contre les Prussiens. Devant l’atteinte au statut familial collectif, un pôle de spahis se constitue sur la base d’une solidarité subjective : ils refusent de reconnaître les nouveaux dirigeants du gouvernement de la Défense nationale. Au mois de décembre 1870, à Alger, le régiment de spahis refuse d’embarquer pour la France. En avril 1871, le Cheikh Mokrani prend la tête de la rébellion mais le 11 novembre 1871, le général Lacroix obtient sa reddition. olitique tourne le dos délibérément au « Royaume Arabe » de Napoléon III. Quand on connaît les relations commerciales millénaires qu’entretenaient les communautés respectives, on comprend comment par l’acquisition de la citoyenneté française des uns (Juifs indigènes) au détriment des autres (Musulmans indigènes), la révolte des grandes tribus algériennes était inévitable. Un an avant, la guerre a été déclarée à la Prusse par Napoléon III et la Défense nationale semble n’être nullement décidée à la lutte contre les Prussiens. Devant l’atteinte au statut familial collectif, un pôle de spahis se constitue sur la base d’une solidarité subjective : ils refusent de reconnaître les nouveaux dirigeants du gouvernement de la Défense nationale. Au mois de décembre 1870, à Alger, le régiment de spahis refuse d’embarquer pour la France. En avril 1871, le Cheikh Mokrani prend la tête de la rébellion mais le 11 novembre 1871, le général Lacroix obtient sa reddition.
L’Empire de Napoléon III fut remplacé par la République le 4 septembre 1870. Un gouvernement de la Défense nationale est constitué. De faux tribunaux d’exception dits « Conseils de guerre » sont installés dans les trois départements (Alger, Constantine, Oran), pour juger les délits commis pendant la période insurrectionnelle. L’instruction des insurgés donna lieu à diverses interprétations. Comme on ne pouvait pas agir de la même façon vis-à-vis des collectivités, on réunit le même acte d’accusation pour 213 individus parmi lesquels les « grands chefs ». Pour produire sur le jury une impression défavorable (aux accusés), il fallait que le parquet général présente les insurgés comme des malfaiteurs ordinaires, chefs d’assassins, incendiaires, pillards et voleurs. Un nouveau journal (le Mobacher) exploita une certaine vision totalement négative du nationalisme arabe naissant et de la religion musulmane. La propagande fut dirigée contre les insurgés qu’on qualifiait de bandits, d’assassins ou de rebelles.
L’exemple de la condamnation de Boumez reg qui remplaça son frère El Mokrani (après la mort de ce dernier au combat) à la tête de l’insurrection de 1871, mérite d’être cité, car le procès de ce chef berbère avait provoqué beaucoup de remous. En effet, le faux jugement fit réagir les juristes français de la métropole ; certains montrèrent même leur ferme désaccord en révélant que sa condamnation avait été prise avant sa comparution devant la Cour d’assises. Il sera pourtant jugé coupable et condamné à la déportation avec les autres insurgés. Ceux-ci sont dirigés sur la France et internés dans les ports côtiers (fort de Toulon, îles Porquerolles, île Saint Marguerite, fort de Saint-Martin-de-Ré, fort de Brest, en Corse à Calvi et à Corte).
Nombre de documents relatifs à la déportation en général ont été endommagés que ce soit en Métropole (durant la Seconde Guerre mondiale) ou en Nouvelle-Calédonie (inondations). Pour identifier les déportés politiques originaires du Maghreb, il nous a semblé nécessaire de faire un travail comparatif, à partir des différentes archives, entre les registres de la déportation et les registres des lieux de détention. Par ailleurs, les jugements des Conseils de guerre et des cours des assises étant parfois longs, les déportés durent attendre plusieurs mois avant leur embarquement dans les convois destinés à la Nouvelle-Calédonie. C’est la raison pour laquelle, ces prisonniers furent internés dans les dépôts ou lieux de détention avant leurs départs définitifs. Fort heureusement, c’est précisément dans les fonds d’archives des lieux d’internements que nous avons pu répertorier l’origine et la naissance de chacun des condamnés Maghrébins ainsi que leurs dates d’embarquements, convoi maritime par convoi maritime, vers la Nouvelle-Calédonie.
Chronologiquement, les premiers convois de transportés maghrébins en Nouvelle-Calédonie s’effectuent à partir de 1867. Nous y avons comptabilisé un total de 178 condamnés sous le régime des droits communs. Ces premiers déportés font partie de l’insurrection des Ouled Sidi Cheikh de 1864. Nous identifions ensuite les déportés politiques à la suite de l’insurrection de Kabylie en 1871 et d’El Amri (Biskra) en 1876 : 120 embarqués dans les convois entre les périodes 1874 et 1878. Condamnés aux travaux forcés ou à la réclusion, on applique à ces insurgés politiques la loi du 23 Mars 1872 relative aux insurgés de la Commune de Paris de 1871. D’autres convois comprendront de nouveaux déportés politiques à la suite de l’insurrection du Sud oranais de 1881-1882 (Boua mama de nouveau, fractions Gharaba et Cherraga). Ils forment un total de 13 embarqués dans les convois qui suivront entre 1881 et 1882. Seront déportés ensuite 12 Tunisiens entre 1890 et 1892, à la suite de l’insurrection du Sud tunisien (Djérid/Tabarka) en 1881, dont certains nés ou demeurant en Algérie pendant le développement insurrectionnel de 1871. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’il faut noter que le Sud algérien a joué un rôle croissant à partir du Djerid tunisien. Jugés sous le régime des droits communs par le Conseil de guerre de Tunis et la Cour d’assises de Tunis, les motifs principaux de leur condamnation seront le rejet du pouvoir français en Tunisie et l’insubordination. D’autres convois suivront la déportation des Tunisiens. Les archives nous signalent en effet un certain nombre de prisonniers algériens destinés au bagne calédonien. Ces derniers seront enregistrés sous leurs numéros d’écrou comme relégués. Ils feront partie des derniers convois effectués entre 1887 et 1895.
L’organisation à bord des navires nous permet de nous intéresser à l’alimentation fournie aux condamnés. On observe par exemple que les Maghrébins n’ont pas pu s’adapter à une nourriture totalement européenne, celle-ci n’ayant pas encore introduit à l’époque les produits issus de l’arboriculture méditerranéenne. Ce comportement alimentaire faisait l’objet d’inquiétude de la part de l’administration pénitentiaire qui, du reste, s’efforçait de les satisfaire du mieux qu’elle pouvait.
Que pouvait-on faire cependant ? Leur alimentation a été pour tout le monde un grand sujet de souci : leurs goûts étaient si bizarres ! Comme musulmans, ils haïssaient l’alcool et le vin ; c’était bien, mais le bœuf et les légumes secs ne leur convenaient pas non plus ; en plein océan, ils demandaient des fruits et de la salade »
Pourtant, malgré les difficultés de ces traversées, les Maghrébins, contrairement à leurs compatriotes "Communards", n’ont pas fourni beaucoup de malades. Par exemple, sur 62 embarqués à bord du Calvados le 2 septembre 1874, on enregistre seulement 4 décès dans la communauté maghrébine. Les connaissances médicales étaient insuffisantes, notamment sur l’origine de certaines maladies encore peu connues à cette époque. A titre d’illustration, on ne savait pas comment traiter le scorbut qu’on attribuait, dans ce cas de figure, à l’atmosphère maritime :
« Le scorbut et la fièvre typhoïde sont certainement les maladies qui, après la semaine sanglante, ont fait le plus de victimes parmi les insurgés de la Commune ; elles ont produit leurs effets pernicieux non seulement pendant les internements dans les ports, mais aussi au cours des transports vers la Nouvelle-Calédonie »
De même, il convient de souligner l’attachement des Maghrébins à leur religion, attachement dont les archives nous tiennent informés. Ainsi, ces dernières notent que « (…) à partir du 13 octobre, les Arabes sont entrés dans la période de carême du mois de Ramadan, ils ne boivent ni ne mangent du lever au coucher du soleil et refusent tout médicament pendant cette partie de la journée »
« Parmi les déportés de St Martin se trouvent 89 Arabes condamnés à la suite des insurrections de l’Algérie. Ces individus devront être séparés des détenus européens et placés dans les locaux les mieux exposés au soleil. Ils seront autorisés à cuire leurs aliments qu’ils préparent eux-mêmes et, pour eux, le vin est remplacé par du lait, la graisse par du beurre. Il leur est délivré des vêtements arabes. Les mêmes accordés à Quélern. Veuillez communiquer au directeur le contenu de la présente dépêche. Ce fonctionnaire, ainsi que vous, informé du départ du navire de St Martin. Recevez (…) »
En revanche, la consultation de la liste des marchandises embarquées ne permet pas d’affirmer l’existence de dattes à bord des navires. Serait-il possible pourtant que les condamnés, fidèles à leurs habitudes alimentaires méditerranéennes, aient emporté avec eux ces produits de première nécessité (et de longue conservation) ? A cette époque, les dattes étaient une nourriture de base pour de nombreux habitants du Maghreb : certaines variétés sèches comme les mech-degla du Ziban ou la degla-beïda de l’Oued Rhir étaient d’excellente conservation et fournissaient aux populations nomades en particulier, mais pas seulement, une ressource alimentaire de base riche en calories et en sels minéraux. Les noyaux eux-mêmes étaient consommés par les animaux7. Il ne faudrait donc pas s’étonner si, d’une manière ou d’une autre, les forçats algériens avaient conservé une réserve de ces fruits au cours de leur long voyage de déportation. Il est également possible que le personnel ait fourni ces dattes comme menu principal à bord des vaisseaux. Ne nécessitant ni préparation ni cuisson tout en se divisant facilement, les dattes offraient de réels avantages pratiques.
A titre de comparaison, de nos différentes entrevues avec les pères de famille algériens arrivés dans les années 1954 en France, il ressort que nombre d’entre eux ‑ en particulier, ceux qui avaient un lien profond avec les oasis -, ont régulièrement emporté avec eux (dans leurs poches), des dattes fraîches ou sèches (selon les variétés) lors de leurs déplacements vers et entre les villes de France. De plus, l’alliance de la datte (degla) et du lait caillé (l’ben), comme coutume ancestrale, est toujours de rigueur dans les oasis du Maghreb. Elle reste ainsi un élément de la tradition des échanges réguliers activés entre les deux rives de la Méditerranée. Face à des pratiques qui peuvent raisonnablement être considérées comme des survivances culinaires, on peut dire que, dans le devenir de ces déportés, la tradition ‑ comme science ‑ a joué un rôle décisif. On sait par exemple que, dans la tradition, le palmier dattier assure la survie de l’individu habitué à le cultiver depuis plusieurs siècles. Lorsque celui-ci se déplace de son espace coutumier vers la ville ou à l’étranger, il transporte avec lui les fruits précieux de sa récolte. Ceux-ci sont une référence pour lui, voire même le reflet de son identité. Ainsi, en cas d’établissement définitif sur une terre qui lui est inconnue, les noyaux de dattes feront l’objet d’une réimplantation et d’une stratégie de sélection et de conservation.